vendredi 25 janvier 2008

Les confidences d'un tueur de chiens - précédé de - AFFIDAVIT - JOURNAL DE LOUIDGER -

LES CONFESSIONS D'UN TUEUR DE CHIENS

AFFIDAVIT
Le loup m'a regardé. Dans son regard, la soumission, il était soumis. On aurait dit qu'il savait qu'il allait mourir. Dans ses yeux la crainte, la résignation. Il faut tuer le loup! disaient les gens, mais ça prend un permis pour tuer le loup. Les agents de la faune sont venus et l'ont tiré au revolver de calibre 22. J'ai demandé la permission de ramasser le loup, je l'ai fait germer sur mon terrain, un chien est venu le manger, il a brisé le crâne que je souhaitais garder intact; les dents manquent par endroits, je vais les recoller une autre fois, je dois aller revirer le foin que j'ai fauché hier. Tu as visité ce terrain avec moi, le terrain du voisin; je suis maintenant valet de ferme et je fauche le foin pour nourrir ma vache l'hiver prochain. Ça prend 300 balles de foin par année, chaque balle coûte deux dollars et pèse entre 40 et 50 livres. De chasseur-cueilleur je passe au stade d'agriculteur, c'est mon évolution. Le chasseur-cueilleur court après sa paie, son argent; si tu produis, tu peux subsister sans rien acheter, je t'en ai déjà parlé. L'esclavage, c'est d'être obligé de travailler pour payer tout le temps, je ne veux plus payer d'impôts, moi, en tant qu'éleveur d'oiseaux et d'animaux, je n'ai pas le choix non plus, mais je n'ai plus besoin de chasser, je vends des oeufs; je dois quand même tuer, cela fait partie de l'apprentissage de mon métier; je trouve ça difficile de tuer les oiseaux que j'élève; je garde les reproducteurs et j'élimine les autres sujets, les femelles qui refusent de s'accoupler et les oiseaux malades. Faire éclore des oeufs, ça va beaucoup mieux avec le nouveau couvoir que j'ai acheté l'hiver passé. J'essuie des pertes, c'est normal, mais j'ai une nouvelle génération de dindonneaux des plus prometteuses, j'en ai une douzaine qui se réchappe la vie et cela m'encourage à continuer mon entreprise. Mon voisin a besoin d'un coup de main pour faire les foins, je dois y aller. Tu ne viens pas? Tu préfères garder les poules? Je te laisse, je reviendrai ce soir, au coucher du soleil. (...) On en a déjà parlé et je t'en reparle encore de ce loup que j'ai vu mourir; c'était comme s'il savait qu'il vivait ses derniers instants. Mais le plus étrange, c'est qu'il acceptait sa mort, l'idée qu'il allait mourir, lassé par la souffrance. Peut-être même souhaitait-il mourir enfin, il était rendu au bout de sa souffrance. Quelle leçon de sagesse dans un si grand malheur! La résignation dans son regard: il savait qu'il allait mourir.
Journal de Louidger:
Curriculum XXXVII


Il soula Loula et le loup mourut, les cuisse rongées par les vers. Lui, le roi des bois, dans son extrême soumission. Mais mieux, beaucoup plus: rompu, comme rendu au bout de sa souffrance. J'ai vu la mort du loup, il est venu mourir devant mes yeux, je l'ai quitté avant qu'il ne meurt plus tard, juste après mon départ; on l'a tué, des hommes l'ont tué, ils ont tué Loula et Victor a ramassé le cadavre de Loula déjà rongé par les vers et les chiens sont venus manger Loula; j'ai pris mon fusil et j'ai tué les deux chiens, deux beaux chiens affamés; j'ai tué – note-le bien: confessions d'un assassin, d'un tueur de chiens -, oui ,j'ai tué un, deux, trois, plusieurs chiens comme celui de mon voisin, des chiens errants, pas nourris, malades; ils ramassent les déchets, les restes de carcasses d'animaux morts. Et les têtes? Bouffées par les chiens! Ils n'ont rien à manger, ils chassent les lièvres, ils sont plus intelligents que les loups parce qu'ils n'ont pas peur des hommes. Mais les loups mangent les chiens qui vivent aux dépens de l'homme. Le pire, c'est que c'est vrai; les chiens ont faim, viennent manger dans ton assiette. J'ai trouvé un chien capturé dans un piège ConiBear. J'ai marché un kilomètre dans le bois, je l'entendais pleurer, ça n'avait pas de bon sens! J'ai laissé le chien crever là. Quelle souffrance! Et pauvre bête! Au chien, je lui ai dit: Tu es fais, mon ami. Cruelle, la vie, mon ami. Tous ces animaux morts dans des pièges: les loups, les renards, les castors... Tous tués dans des pièges, les anciens pièges canadiens, les pièges Victor. Déjà plus de vin? Il dira tout. Coincé dans un piège, le chien, fait comme un rat, le cou tout écrasé par le piège ConiBear. J'ai jamais entendu un chien se lamenter comme ça. Parmi mes souvenirs de l'Ouest, je garde ce crâne. J'ai tout perdu ce que je possédais mais ce crâne, je l'ai sauvé de justesse; j'ai du travail, il faut recoller les mâchoires, il manque des dents, faudra les recoller une par une. Passe à autre chose, tu n'as pas tout écrit ce que j'ai dit, j'écoute la radio: vont-ils rembourser la dette? Je suis un chérubin, je sème des graines, je ne suis pas Loula. Je raconte et tu récoltes parce que tu sèmes aussi: tu te donnes la peine d'écrire. Regarde: du pembina, des graines que je sème. Oui, dis-je à mon ami, mais je me demande pourquoi les chiens qui sont plus intelligents que les loups se font manger par les loups. Parce que les loups sont plus féroces, me réponds-tu. Et je pense que chez les chiens, l'intelligence s'incline devant la férocité des loups et que Loula, qui était un loup, s'est fait manger par les chiens. Et les garde-chasses ont tué Loula parce qu'il était malade et qu'il s'attaquait aux enfants, bien oui! Un pour sûr! Panique dans la cour d'école!Un loup parmi les enfants. Ce n'était qu'une feinte; en fait il ne s'est rien passé, Loula était trop malade pour s'attaquer à un enfant, il était rongé par les vers. Les garde-chasses ont préféré l'abattre par mesure de précaution plutôt que de le faire soigner. Il était blessé à une patte, il ne se traînait plus qu'avec une patte; une balle l'a blessé à la patte, il s'est fait tiré par les Indiens. Ça s'est passé juste à côté de chez nous, je ne l'ai pas vu attaquer les enfants, je l,ai vu se faire tirer par les Indiens qui l'ont blessé à la patte et les garde-chasses l'ont achevé pour abréger ses souffrances. J"ai ramassé le loup mort et au bout d'un mois, j'avais ce crâne que je possède toujours en souvenir de ma vie passée dans l'Ouest. J'en ai d'autres, des souvenirs de l'Ouest, mais ce crâne de loup m'est le plus précieux. J'habitais en face de la très ancienne route des fourrures. J'ai su ça juste avant mon départ de là-bas, dans le bois, au nord d'Edmonton. Cette route des fourrures était la route des loups avant l'arrivée des Blancs. Déjà les Indiens les faisaient fuir, mais les loups ne risquaient pas l'extinction. Eux, les loups, symboles vivants et rois des forêts, esprits de mystère régnant dans les bois vastes et immenses. Demain je te raconterai la suite de cette histoire. Tu te demandes qui a soulé le loup? Je te répondrai demain. Un hot-dog? C'est l'heure de souper. As-tu faim? -Oui, merci! On a bu deux bouteilles de rouge, toujours fidèles à la tradition. Le bon vin m'endort, tout le monde chante ça. La source de nos problèmes socio-économiques provient des gens de la ville et surtout de leur mode de vie, me dit Victor; ils ont beau gueuler tant qu'ils veulent, tant qu'ils ne changeront pas leur mode de vie centré uniquement sur la consommation et sur la surconsommation, ils ne seront jamais que des victimes. Les plus hip, ceux qui vivent en ville... c'est un non-sens, vivre en ville; les gens de la ville sont intelligents, mais ce sont les pauvres de la campagne qui cultivent la terre pour eux. Les bananes, ce sont les Nègres qui les font pousser et qui les cueillent une fois à maturité. Les vraies valeurs, on les cherche encore. J'ai choisi de vivre dans l'échelle sociale la plus basse. Après moi, c'est la rue. J'élève des oiseaux: des dindes, des poules, des oies. L'oie fait la loi. Et je bois du thé aux aiguilles de sapins, sinon je meurs. Mes légumes que je produis dans mon jardin, les banques ne peuvent pas, n'ont pas le droit de les saisir ni ma vache ni mon cheval, si je prouve que c'est pour ma survie. Mon chalet, oui, ils peuvent saisir mon chalet, mais pas ma vache ni mon cheval et mes légumes. Tu vois, j'inverse le système, je produis au lieu de consommer. J'ai travaillé pour mon voisin, celui qui a reçu un arbre sur la tête en bûchant et dernièrement il s'est fait écraser par sa vache. Il est malade puis il continue à travailler, il est tombé dans la rigole à fumier, étendu dans le fumier, il aurait pu mourir. Mais il est coriace, c'est un revenant, il est allé de l'autre bord, mort trois fois, il travaille pareil puis il est malade, il se blesse, passe proche de se faire ruer par sa vache qui l'écrase; il m'a demandé de l'aider parce qu'il est blessé et malade puis qu'il a besoin d'aide. Moi, je vais le voir pour m'acheter du lait, il me fait travailler une heure, je sens encore l'étable. Viens-tu manger ou te laisses-tu mourir de faim? Des toasts au beurre de peanut et des bananes, des oranges, des pommes et je t'offre un thé aux aiguilles de sapin. Nous avons nettoyé et trié les graines d'amélanchier de la terre noire, un vrai travail de moine et une patience d'ange, voilà ce dont il faut pour recueillir des graines, j'en ai de rosiers sauvages de l'Ouest, les fameuses wildroses country comme celles que nous voyions et que nous sentions à l'époque où nous plantions des arbres au nord-est de Fort St-John, BC; je suis le seul à cultiver ces roses par ici, j'ai aussi des graines de tabac, ces minuscules graines que tu vois au fond de ce sac; j'ai aussi ces toutes jeunes vignes provenant des pépins que tu m'as donné, je sème aujourd'hui-même les amélanchiers et les rosiers. Savais-tu qu'une vache produit dix litres de lait par jour? Cinq mille dollars de lait par année, plus un veau, donc ça peut être payant. Ça coûte cent piastres pour la faire inséminer. Une poule pond un oeuf par jour, moins un arrêt de trois mois par an, durant l'hiver. Vingt-cinq poules pondent plus de quatre mille oeufs par année. L'achat d'une vache coûte un peu moins de mille dollars, plus le transport et le foin, cela coûte douze cent dollars au bas mot. Les gens qui sont pauvres comme moi sont condamnés à vivre dans la nature. Je vais bientôt m'abonner à la radio par satellite, j'en suis rendu là dans mes projets. Des frites maison, en veux-tu? Avec du ketchup c'est génial! Je garde ce qu'on appelle les yeux (autrement dit les germes des patates) pour la semence, je sèmerai ces morceaux de patates dans mon jardin, je ne lis pas de romans, mais j'aime les histoires drôles comme celle de Micha le pingouin qui s'apprête à aller au cinéma avec son maître Victor après leur visite au zoo. Oui, dis-je à mon ami Victor, on en parle dans ma revue Lire, je la tiens d'Andreï Kourkov, l'écrivain russe né en 1961 comme moi. Mais tu sais, me dit Victor, à dix-sept ans j'ai vécu dans une maison abandonnée remplie de rats. Ma tante est venue me sortir de là pour m'amener chez elle, dans sa maison où j'ai vécu et réfléchi durant un e année. Puis je me suis acheté une tente prospecteur et c'est à ce moment-là que j'ai décidé de ne plus jamais vivre dans un appartement. Je vais préparer des frites avec des fish and chips. Et toi? Tu veux m'aider à râper du chou pour la salade au thon? Je suis rendu tranquille, ce n'est pas pour rien. Demain matin on va faire des crêpes avec ce qui reste de pâte; on n'a qu'à rajouter de la crème, de l'essence de vanille et du gruau. J'ai des os de bison pour un bon bouillon de soupe, tu aimes manger? C'est bon? Mange, mange! Et la guitare? Marie-Hélène de Sylvain Lelièvre? Jolis accords, et tu joues bien! Ça prend quelqu'un pour la musique. Je suis retraité, rentier, je n'ai pas grand-chose à dire; c'est ma fête, j'ai quarante-six ans aujourd'hui et il neige, je ne pourrai pas sortir, je voulais aller en ville, m'acheter une tasse pour boire mon café, j'ai laissé la mienne dans le bois. C'est ma fête puis c'est moi qui fais le café. Je ne lis pas tes histoires, tu déformes trop ce que je dis et je ne m'y reconnais plus. Me voici de retour chez Victor. Il a tellement neigé que les oiseaux sont en train de mourir de faim, incapables de trouver de quoi manger. Mahomet? me dit mon ami, il est mort ça fait longtemps, tellement longtemps. Que veux-tu que ça lui fasse, ces caricatures dans les journaux. Les Musulmans n'entendent pas à rire. Combien de fois a-t-on blasphémé contre Jésus. Et la grippe aviaire? Je viens d'acheter un beau couvoir flambant neuf. Mon jouet! Finis, les vieux couvoirs! Mes oiseaux pondaient, je produisais 350 oeufs en pure perte. Je vais faire éclore des oeufs de poules, d'oies et de dindes. Il m'a coût. 1 200 dollars, ce couvoir. C'est le cadeau que je me suis payé en ce début d'année. J'ai vendu mon terrain en Alberta. J'ai souhaité malheur à mon voisin et malheur lui est arrivé. Je me découvre des talents de sorcier. Les Indiens, ce sont des chamans. Disons qu'il y avait trop d'énergie négative par là-bas. Mes voisins de l'Alberta? La pauvre madame! C'était du bon monde, on n'avait pas la même culture. Aujourd'hui ces gens-là regrettent mon départ. Avoir su... Ce monde-là, ils sont affectés par des problèmes dont j'étais loin de soupçonner l'existence. Si tu dis aux Musulmans du mal de Mahomet, ils veulent te tuer. Même chose avec les Indiens: les pères qui violent leurs filles, le frère qui bat sa soeur, les voisins qui se tirent au fusil entre eux; j'ai tout perdu à cause d'eux. J'allais me mêler des problèmes de tout le monde. J'allais dire au père d'être gentil avec sa femme et avec ses enfants. Quand tu es dans la trajectoire au bout du fusil, tu risques de recevoir la balle, tu comprends? c'est sérieux. J'ai appris à connaître les gens de l'Ouest. Stephen Harper, Stokwell Day, Ralph Klein, si tu savais comme je me sens près de ces hommes... Pourquoi? parce qu'eux aussi ont des âmes de colons. C'est ma façon de parler. Quand les Québécois vont s'apercevoir qui est Stephen Harper, ils vont l'aimer. Ils vont l'aimer parce qu'il a des valeurs pareilles aux autres, Ce qui risque de lui nuire, c'est la guerre en Afghanistan. Les Québécois sont conservateurs au fond d'eux-mêmes. On ne l'est peut-être pas encore assez. Ton porto m'a soûlé raide, Je viens de me réveiller à moitié soûl, là je suis correct. Je suis habitué de boire de la bière. Les Québécois sont des buveurs de bière. La vraie définition d'un colon, c'est quelqu'un qui ignore sa culture. On oublie vite nos origines, on veut oublier le travail de nos ancêtres. Notre culture, c'est ce qui nous définit. Un colon, c'est quelqu'un qui vend sa terre aux Américains. Des ignorants! Un colon, c'est le contraire de Félix Leclerc. Quand tu vends ta terre, tu perds ton pays. Allez voir un Brézilien sans; il est sans terre? on le tire au fusil! Ici on lui donne un chèque de bien-être. Mon voisin vient de vendre la sienne, sa terre, six mille dollars alors qu'elle en vaut dix fois plus! Un colon, c'est quelqu'un qui bûche son lot à blanc. J'étais colon, moi aussi. Les propriétaires de lots à bois sont taxés maintenant sur la valeur du bois debout. On a encore rien manger, on va faire des chips maison pour souper. Un lot à bois, mon rêve; je vais surveiller ça, il y en a à vendre pas cher. Et voila Emman qui arrive avec une douze. C'est bon des chips avec de la bière, on va s'en déboucher une. Je préfère la bière au porto parce qu'avec la bière,on peut compter les bouteilles vides et les bouteilles pleines, on ne voit pas à travers celle du porto. Je me sens mieux depuis que j'ai dormi. La nature se révolte. Elle se rebiffe contre l'homme qui provoque les changements climatiques. Le problème vient vient de ceux qui veulent envahir le pays des autres.. Les Américains au Viet Nam ou en Irak, les Anglais en Afrique, cela n'aide pas la cause des peuples indigènes. Je suis un fermier. Quand on est un fermier il ne faut pas avoir peur d'un cheval ou d'une vache quand on est un fermier. Je ne veux plus payer d'impôts. Mon chat, il faut qu'il s'en aille d'ici: il a faim, les poules aussi. Ma vache va mettre bas ce printemps, tu viendras voir ça. Les oies ont soif; elles sont dans la serre, à l'air libre, on va aller les voir et leur apporter de l'eau. Viens, ma fille, dit Victor, ta maman est allée nourrir la vache et le cheval. Et mon chat? Qu'est-ce que tu veux, toi?. Allons dehors, il fait soleil. On va aller pelleter, on déjeunera plus tard. Nos animaux en premier. Nous autres, on en prend soin, on les élève puis on les aime. Je vais sortir ces madriers dehors, je ramasse tout. Et toi? Tu lis ce livre d'astrologie et tu joues de la guitare? Dalida et Sylvain Lelièvre, c'est bien, je te laisse, Dalida ressemble à un homme, une belle photo. C'est peut-être la raison qui explique pourquoi elle était si malheureuse. A plus tard.
ÉPILOGUE: J'arrive de dehors. Pelleté la neige devant la serre. Les oies ont bu et font un brin de toilette.
18 janvier 2006 St-André-de-l'épouvante.
Publié par Louidger avec la collaboration de Roger Auclair éditeur